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Réponse de Christiane Taubira au sujet des manifestations organisées au jardin d’acclimatation dans le cadre de l’année des Outremers


Réponse de Christiane Taubira au sujet des manifestations organisées au jardin d’acclimatation dans le cadre de l’année des Outremers
Réponse au texte co-signé par Mrs Jean-Aubéric Charles et Jean-Pierre Jospeh ; Mme Tiwan Couchili

Madame, Messieurs,
Le texte que vous avez publié laisse apparaître que vous confondez le principe de participation aux manifestations de l’année des outremers avec les questions que peut soulever le lieu de certains évènements.

Quoi que vous ayez envie d’écrire aujourd’hui, le Jardin d’acclimatation porte une forte charge symbolique. Quel que soit votre rapport personnel à cette histoire, la charge émotionnelle est intense, et toute ambivalence dans l’usage de ces lieux est délicate et périlleuse. Vous évoquez cette cérémonie d’Epekodonon qui eut lieu en 1996 au Parc Floral de Paris. Que n’avez-vous demandé que la manifestation de cette année se tienne dans ce lieu où les Chamans ont libéré les âmes. A moins de considérer qu’un lieu vaut pour tous les lieux. Dans ce cas, il n’y a plus de problème de lieu, et la cérémonie elle-même aurait pu se tenir n’importe où.

Vous contestez « cette demande faite au nom de [votre] communauté ». Ce singulier me surprend, je sais les communautés amérindiennes plurielles. Mais comment prétendrais-je parler au nom de ces communautés, alors que vous-mêmes qui en êtes issus n’avez pas qualité pour le faire ? La preuve, c’est que d’autres, dont certains ont une légitimité démocratique bien supérieure à la vôtre, ne partagent pas votre indifférence sur la charge émotionnelle du lieu. Ce n’est pas au nom d’une ou de plusieurs communautés que j’ai formulé mon interpellation, c’est au nom de la dignité humaine. Elle est pour moi indivisible.

Vous avez pardonné, dites-vous, « les erreurs du passé car les enfants ne doivent pas porter les péchés de leurs pères ». Je ne sais pas qui vous a demandé pardon, je ne sais pas non plus à quel titre vous pardonneriez, qu’avez vous souffert ? Et je ne suis pas dans le registre du péché, mais sur le champ des valeurs républicaines et de la responsabilité de l’Etat vis-à-vis des citoyens, quels qu’ils soient. Il est question de faire souvenir, vérité et justice au nom de ces ancêtres, d’exiger le respect de leur mémoire et le recueillement devant leurs souffrances. C’est ainsi que je comprends la protestation, que je salue avec estime, élevée par le maire d’Awala Yalimapo et d’autres personnalités amérindiennes.

Vous avez débattu à l’Assemblée Nationale avec des « parlementaires nationaux, des membres du gouvernement français et de la mairie de Paris ». Que n’avez-vous réussi à les convaincre de ratifier la Convention 169 de l’OIF reconnaissant les communautés autochtones, et que ne parvenez-vous à les faire avancer sur l’accès aux savoirs traditionnels et le partage des avantages, le fameux programme APA.

Soyez sans crainte, vous participerez à cette manifestation, au Jardin d’acclimatation ou ailleurs, et ceci pour trois raisons. D’abord parce que vous avez accepté d’en être et vous êtes souverains sur cette décision, nul ne songe à le contester. Ensuite parce que le gouvernement tient à une présence amérindienne, et peu importe que ses raisons soient louables ou équivoques. Enfin parce que personne ne demande ni l’annulation de cette manifestation ni la suppression de vos prestations. Le débat porte, et exclusivement, sur la symbolique du lieu.

En août 1882, le grand Man Kavanaya Touseya, fils du grand Man Ayeramo récemment décédé, est exposé au Jardin d’Acclimatation avec sa famille, sa mère, sa femme, ses enfants, ses neveux et nièces. Les articles de l’époque décrivent leur kalenbé, leurs coiffures, leurs costumes d’apparat, leurs parures, les dessins au roukou sur leurs corps, leur carbet. Ils concluent que ce sont « les plus grands ivrognes de la terre et de grands paresseux ». En 1892, des Amérindiens Kalin’a devaient mimer, à l’aide d’os factices de tibias, des scènes d’anthropophagie. Les préjugés sont fréquents. Ils sont aussi tenaces. Mais le plus important est ce qu’il advint de certains d’entre eux, qui ne passèrent pas l’hiver en si léger équipage. C’est ce sort que nous estimons ne pas devoir laisser traiter comme s’il fut anodin.

Vous parlez volontiers de valeurs, vous n’en définissez aucune. Parmi les valeurs qui me paraissent de grand secours par ces temps difficiles, il y a l’égale dignité des cultures. De ce postulat, je tiens et j’entretiens la conviction que, bien plus que dans la panoplie de bonne volonté du préfet, c’est dans le patrimoine culturel et social amérindien que se trouvent les meilleures réponses au désarroi et au mal-être qui produisent les pathologies et les actes de désespoir révélés ces dernières semaines. Nous en avons été ébranlés.
Un groupe amérindien a participé à la grande parade du carnaval à Cayenne ce 6 mars. J’y ai vu une belle audace et j’en étais enchantée. Je pense qu’ils ne doivent s’interdire aucun espace, renoncer à aucune expérience, et je crois leurs cultures assez vigoureuses pour oser tous les contacts. J’eus cependant un haut-le-cœur en lisant la banderole. Elle mentionnait ‘Culture primitive’ ! J’y vois le signe du travail qu’il reste à faire pour retrouver l’estime de soi.
Je ne doute pas que vous aurez le souci d’y prendre votre part.

Vous voyez que ce n’est pas là une affaire de « bon sens d’élus ».


Christiane Taubira
Députée de Guyane, Commission des Affaires étrangères

Ce 6 mars 2011.

Rédigé le Jeudi 10 Mars 2011 - Service de la Communication

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